MIXED | MARTIAL | ART

Enjeux économiques  et  politiques

 

 

Par Antoine BISSON

Docteur en STAPS, Professeur d'EPS

 

 

Laboratoire d'idées pour le sport du 21ème siècle ?

 

MMA, une  situation  très  particulière  en France


Alors que le Mixed Martial Art (MMA) est autorisé dans la plupart des pays européens et outre-atlantique - où il est d'ailleurs en passe de détrôner de nombreux sports en termes d'audience télévisuelle ! -, il demeure interdit en France. Cette situation très particulière n'est pas sans créer certains problèmes institutionnels qui confinent au défi politique avec le ministère des Sports. Le MMA est en effet la seule discipline sportives dont le secrétaire d'État aux Sports, Thierry Braillard, a pu estimer le 21 septembre 2015 qu'elle l'avait "roulé dans la farine".

 

Malgré les difficultés d'organisation et de développement du fait de l'absence de fédération délégataire, tous les observateurs considèrent que ce sport de combat se caractérise d'abord par un vif engouement.

 

La question posée aux institutions (CNOSF et État) est donc de savoir si, fort de son succès populaire national et international, le MMA ne pourrait-il pas être officiellement reconnu, c'est-à-dire présent institutionnellement dans le paysage sportif français ? Une chose est certaine, cette question n'aura pas de réponse positive au regard de la position actuelle du Ministère des Sports.

 

Il est donc intéressant de comprendre les raisons qui motivent l'État à refuser l'accès de ce sport à une légitimité institutionnelle. Au-delà, une question inédite pourrait se poser :  le ministère des Sports ne devrait-il pas considérer un point important qui fait peut-être du MMA... un laboratoire d'idées pour le sport du 21ème siècle ? Omniprésent sur les réseaux sociaux, il correspond en réalité assez bien à cette fameuse logique nouvelle "d'ubérisation" qui va contraindre les fédérations à évoluer rapidement en intégrant les technologies numériques dans leurs stratégies de développement. Ce qui en fait un sport nettement en avance sur le Mouvement sportif national en matière de capacité numériques de diffusion.

 

Selon nous, il devrait donc pouvoir être considéré comme une sorte de "prototype" sans doute capable d'indiquer de nouvelles pistes de développement et de promotion pour le sport du futur.

 

 

La  position  éthique  du  Ministère  des  Sports


Les ministres se succèdent mais la volonté reste : ne pas autoriser le MMA en France. Il est admis qu'il serait en effet politiquement incorrect de le faire. L'actuel Secrétaire d'Etat aux Sports fait donc logiquement, comme ses prédécesseurs, usage du même argumentaire : "Le MMA est une pratique dégradante qui porte atteinte à la dignité humaine comme de combattre dans une cage ou de frapper une personne au sol" (11 juin 2014).


M. Braillard brosse ainsi les caractéristiques d'un sport empreint "d'indignité" en évoquant deux arguments: celui des corps donnés en spectacle enfermés dans des cages et celui de l'Homme qui se déshonore par des frappes au sol. Le procès fait au MMA est donc avant tout d'ordre éthique (on ne frappe pas un homme à terre) et symbolique (on n'enferme pas les hommes dans des cages).

 

Pour autant, une contre-argumentation faisant référence à une compréhension "praxéologique" (Science de l'action motrice) peut être facilement développée. Elle l'est d'ailleurs par les pratiquants du MMA eux-mêmes.
 

 

Un  contre-argumentaire  "praxéologique"

 
Pour les pratiquants, "l'octogone" (la cage), pour utiliser leur terminologie, relève d'une logique qui serait simplement sécuritaire. Elle s'avère en effet plus sécurisante qu'un ring: les combattants ne passent plus accidentellement entre les cordes, ce qui supprime les risques de chutes.

 

Reste qu'au plan sémantique, la question se pose de savoir s'il suffit de transformer l'appellation "cage" en "octogone" pour en éliminer le caractère "déshumanisant". Sans doute pas... On relève, toutefois, que la publicité n'hésite pas à exploiter l'idée du "sport en cage" à l'image de la marque Adidas qui a très récemment développé le "concept" publicitaire d'Underground Football.


Le secrétaire d'État aux Sports affirme en outre son opposition au MMA par une association selon lui indéfendable qui fait correspondre les "frappes au sol" autorisées dans ce sport avec la symbolique de "l'homme à terre". La réalité technico-tactique est pourtant toute autre. Elle s'inscrit en effet dans une phase de combat dit "au sol" que l'on retrouve dans d'autres disciplines. Celle-ci offre un panel de solutions permettant au combattant "en dessous" de "retourner" la situation pour reprendre "le dessus".


C'est, là encore, une structure symbolique considérée comme négative qui imprime sa marque à la rhétorique ministérielle. Un système argumentaire qui s'effondre de lui-même dès lors que la nature "affective" qui scande ce discours cesse de reposer sur le sport "qui se regarde" pour s'inscrire dans un sport "qui se pratique"; ce dernier relevant d'un dispositif réglementaire évidemment soucieux de l'intégrité physique des combattants. L'exploitation pédagogique du MMA pour des enfants développée par certains clubs français en atteste.


Reste un dernier contre-argument technique. Il relève de la simple physique. En effet, la force est le produit de la masse par l'accélération (F=MxA). Par conséquent, plus le combattant est proche de sa cible (ce qui est le cas au sol), moins l'accélération - donc la force - sera importante. Au demeurant, le combat au sol ne bénéficie pas d'appuis permettant un transfert de poids engendrant la puissance d'un coup comme cela est recherché dans les arts martiaux traditionnels de type Budo, par exemple. D'un point de vue purement mécanique, l'impact d'un coup porté au sol en MMA sera donc de moindre puissance que celui porté en position debout comme un coup de genou sauté en Muay Thaï.


L'omniprésence de la violence - transversalité mortifère des sports de combat, ne peut pas non plus remettre en cause la légitimité sportive du MMA. De fait, la violence des coups portés quelle que soit la technique, la cible ou les modalités pratiques est commune et communément acceptée dans tous les sports de combats de percussion. Le gain du combat par KO existe en effet ailleurs.

 

Dès lors, avec le MMA, il semble que l'on ne se situe pas dans un "plus-ou-moins violent" mais dans un "plus-ou-moins tolérable à regarder". L'enjeu est ici clairement symbolique et non pas technico-tactique et sécuritaire comme le pensent et l'affirment pourtant les autorités publiques françaises. Le débat se situe davantage entre l'intégrité physique des combattants qui pratiquent et "l'intégrité mentale" des spectateurs qui regardent. Dès lors, une nouvelle question se pose: serait-il plus "digne" (pour reprendre l'expression de M. Braillard) de mettre KO un combattant en Savate-Boxe-Française par un coup de chaussure au visage plutôt que par un coup de poing au sol en MMA ?


En fait, au cœur de ce débat entre éthique ministérielle et praxéologie des combattants, il semble bien que ce soit les enjeux institutionnels doublés de pressions économiques qui, finalement, posent problème aux autorités.
 

 

Enjeux institutionnels & économiques sous-jacents


L'écosystème du MMA, incluant aussi bien les "pour" que les "contre", témoigne d'un secteur économique paradoxalement en forte augmentation pour une discipline qui n'a pas encore trouvé de légitimité via une reconnaissance institutionnelle.


En réalité, force est d'admettre que le MMA cumule l'ensemble des facteurs de succès des autres sports de combat : l'association de la percussion et de la préhension. Ce qui techniquement et tactiquement en fait une activité très riche, notamment au plan pédagogique.

 

Or, en 2015, on observe que les organisations prônant les sports de combat doivent se ré-inventer en se mettant au "goût du jour" pour rester dans la course aux pratiquants-licenciés. Ainsi, on constate la création de disciplines nouvelles se rapprochant au plus près du MMA : Grappling Fight et Sambo Combat pour la Fédération Française de Lutte et MJA (Mixed Ju Jitsu Art) pour la Fédération de Judo, par exemple.

 

Cela ne se fait pas sans polémiques ni regards clairement tourné vers le MMA considérant son succès populaire. Dès lors, les doubles discours fleurissent entre stigmatisation au nom de la dignité humaine et lobbying afin de le récupérer en tant que Discipline Associée susceptible d'être agrée par l'Etat.


Disons-le, dans tous les cas il s'agit de stratégies d'intégration assez basiques reposant sur un jeu à somme nulle: ce que l'un gagne, l'autre le perd. Ainsi, ce qu'une Fédération ou une Commission nationale ad'hoc va gagner en reconnaissance, et, in fine, en nombre de licenciés, les associations ayant promu ces sports de combats le perdent immédiatement. En réalité, c'est une véritable "conquête de marché" fondée sur les méthodes du marketing institutionnel à laquelle nous assistons.


Un élément vient encore compliquer les choses. A cette concurrence interfédérale s'ajoute le risque de création d'une fédération indépendante en quête, elle aussi, du Saint-Graal que constitue la Délégation Ministérielle de service public. En effet, seule celle-ci permet à la fédération qui la détient de décerner les titres de Champions de France et de sélectionner une équipe du même nom. Autrement dit, une fédération nationale de MMA délégataire régnerait alors de manière hégémonique sur la discipline.


Une telle décision reviendrait à l'État. Elle serait donc politique. Par conséquent, elle ne peut pas être simplement subordonnée à la seule dimension symbolique de la discipline fondée, de surcroît, sur un ensemble de signes négatifs qui perturbent d'abord certains schémas classiques des mentalités. Elle doit l'être au profit d'une série de mesures axiologiques dont la pédagogie est la vertu principale.
 

Issue pédagogique et avenir "axiologique"


Plus encore que l'activité elle-même, le Ministère des Sports dénonce sa forme compétitive qu'il qualifie de "jeux du cirque". Le problème ne doit pourtant pas être la compétition en soi mais les conditions d'accès à celle-ci; pour les pratiquants, les entraineurs et les arbitres.


Ainsi, les pratiquants devront être préparés et évalués via un système de progression technico-tactique comme c'est déjà le cas dans tous les sports de combat et arts martiaux (en Savate-boxe-française, par exemple, où le "Grade Rouge" permet l'accès exclusivement aux compétitions "Assauts" sans puissance et où le "Grade Jaune" autorise les "Combats" avec pleine puissance des coups).


Dans cette perspective, les arbitres devront être spécialement formés afin d'apprécier la poursuite ou non de l'affrontement pour préserver l'intégrité physique, notamment lors des frappes au sol qui demeure la spécificité du MMA par rapport aux autres combats mixtes.


En complément, les cadres seraient diplômés et non plus simplement titrés. Ce qui permettrait une transmission des savoirs de manière progressive, pédagogique et sécurisée.


Pour conclure, le MMA ne pourra se développer institutionnellement en France qu'en levant tous les a priori sur sa nature considérée "hors limites" et donc hors-normes culturelles au profit d'une vision technocentrée. Les dimensions techniques et pédagogiques doivent ainsi devenir le point d'ancrage explicatif de sa légitimation en donnant du sens au règlement et aux conditions matérielles de pratique.

 

Au final, le MMA est actuellement une discipline qui doit se structurer. Elle doit le faire afin d'atteindre sa maturité sécuritaire à l'instar de la Boxe anglaise qui imposa les gants ou le Judo les catégories de poids. Le MMA, jeune sport d'une vingtaine d'années, est finalement confronté au même schéma historique de construction que ces deux disciplines. Il doit donc réduire progressivement son décalage (son retard) entre une demande sociale de pratique et une offre institutionnelle mature.

 

__________Antoine__BISSON_______________________________________________________________

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