Réforme

du modèle sportif,

 

le combat de  Denis  MASSEGLIA

 

 

 

PROLOGUE | Janvier 2018.

 

Lorsque les 3 et 4 juillet 2013 le CNOSF organisa le 1er séminaire de prospective du sport de son histoire, nous fûmes quelques uns à fonder beaucoup d'espoirs. La démarche était en effet inédite et riche de multiples promesses. Des propositions fortes en matière de rénovation du modèle sportif français en résultèrent. Elles furent entérinées le 9 janvier 2014 lors de l'Assemblée Générale du CNOSF.

 

Il y a 5 ans, le sport français semblait donc engagé dans une phase active de construction d'une stratégie qui aurait dû le conduire à une réforme complète de ses modes d'organisation et de gouvernance. Cette nouvelle donne devait lui permettre de franchir l'étape décisive de sa transformation numérique.

 

Dans le cadre d'une interview exclusive qu'il nous accorda à la fin de l'année 2013, Denis MASSEGLIA nous fît part de sa vision selon un scénario structuré par une vraie volonté politique.

 

Un projet très ambitieux, toujours d'actualité, à la mesure des enjeux, jamais mis en œuvre, qu'il est donc indispensable de rappeler pour gagner du temps et éviter de redire éternellement la même chose au moment où Laura Flessel lance un groupe de travail officiel sur un thème strictement identique.

 

_____I_T_W___Décembre_2013________________________________

 

Alain LORET

Dans ton récent ouvrage intitulé "Le sport, c'est bien plus que du sport" (Editions JC Gawsewitch, écrit avec Pascal BONIFACE), tu présentes un point de vue selon lequel le modèle sportif français a atteint ses limites et qu'il est devenu indispensable de le rénover. Par ailleurs, le Conseil d'Administration du CNOSF a rendu public des propositions qui permettraient d'engager les réformes nécessaires dans le cadre d'un "Projet officiel pour le sport français". J'observe qu'il s'agit là une situation quasi-historique. C'est en effet la première fois en un demi-siècle que le Mouvement sportif s'exprime sur un sujet qui a toujours été la chasse-gardée des ministres des Sports. Pourrais-tu nous en donner les raisons ?


Denis MASSEGLIA

Il s'agit d'une démarche concertée de construction du "Projet du CNOSF pour le sport français". L'objectif est simple: établir de nouvelles bases pour le sport de demain.


Notre ambition sera de passer d'une nation de sportifs à une nation sportive. Cela signifie que nous estimons que si les réponses aux questions du développement du sport sont évidemment politiques et financières, elles sont aussi culturelles, démographiques et sociales. Pour nous, il s'agit de faire du sport l'élément central d'un projet de société dont les effets devront être évalués à l'horizon 2030. Pas dans trois ou cinq ans !


C'est une vision d'avenir que nous construisons. Notre but est d'inspirer toutes les générations, c'est-à-dire toutes les classes d'âges. Même si les jeunes méritent une attention particulière, le projet doit concerner la France dans toute sa diversité sociale et démographique.


Cela passe par une première clé : rénover le modèle sportif français.

 

Comme la loi dite de "modernisation du sport" n'est annoncée que pour l'été 2014, nous avons préféré prendre les devants de façon à ce que chaque représentant du mouvement sportif, qui sera amené à donner son avis, puisse se référer au Projet du CNOSF pour le sport français.


C'est une manière de prendre notre destin en mains et de peser sur le futur texte de loi par les idées et propositions que nous formulons. C'est d'ailleurs un sujet que nous avons évoqué directement avec le premier ministre, en présence de la ministre des Sports, lors d'un déjeuner organisé fin novembre à l'hôtel Matignon [Novembre 2013, NDLR] et où j'étais accompagné des membres du Bureau exécutif du CNOSF.

 

A.L.

Sur quels éléments repose le Projet du CNOSF ?

 

D.M.

Sur un constat déterminant : pour la société française, le sport est un élément à la fois transversal et structurant. Il est essentiel d'intégrer ce constat dans un projet politique de refondation de notre modèle sportif.


Véritable phénomène de société, le sport représente aujourd'hui un triple enjeu pour la France : un enjeu sociétal, un enjeu économique et un enjeu identitaire.


En effet, la pratique et le développement du sport ont des conséquences qui vont de la santé aux loisirs et de la cohésion sociale au commerce extérieur. Le sport est un vecteur d'éducation, d'intégration et de solidarité. Le sport stimule dans la même foulée l'aménagement du territoire et l'image de la France dans le monde. Le général De Gaulle l'avait d'ailleurs bien compris puisque c'est sous son impulsion que le modèle sportif français actuel a pris naissance suite aux résultats décevants de la délégation française aux Jeux olympiques de Rome. Le sport constitue un facteur déterminant des politiques territoriales mais aussi de notre politique extérieure : tu n'as qu'à regarder la polémique sur la représentation française officielle à Sotchi. Le sport c'est également l'économie du tourisme, notamment via le ski et le nautisme : la France est leader mondial sur ces deux secteurs. Au-delà des résultats des Bleus sur la scène internationale, le sport génère donc de l'emploi et des formations... pas vraiment adaptées d'ailleurs, des services et des biens de consommation, du commerce et de l'industrie.

 

On l'oublie trop mais les chiffres du sport sont impressionnants : le sport est le premier secteur associatif français (175 000 associations actives), il rassemble 3,5 millions de bénévoles, 60% de nos compatriotes le pratiquent, les meilleurs audiences télévisées sont réalisées grâce à lui et il pèse en France 35 milliards d'euros annuels.

 

Lorsque je dis que "le sport, c'est bien plus que du sport", c'est à tout cela que je pense.                                              

 

A.L.

Ces chiffres effectivement impressionnants ne signifient-ils justement que tout va bien ?
 

D.M.
Je suis de ceux qui considèrent que notre potentiel sportif devrait nous permettre de faire plus et mieux. En réalité, notre modèle d'organisation et de gouvernance est trop complexe et trop onéreux. Regarde simplement nos voisins britanniques pour prendre l'exemple d'un pays comparable à la France. Tant sur le plan des événements sportifs de dimension mondiale organisés sur leur territoire qu'au plan de leurs résultats olympiques en termes de médailles, ils nous devancent largement, et pas forcément en mettant les mêmes moyens aux mêmes endroits.


A.L.
Le CNOSF a-t-il identifié les raisons de notre retard sur la Grande-Bretagne ?


D.M.
Bien entendu. Pour nous, ce n'est pas qu'une question de moyens. Nous estimons que la principale raison est liée à la gouvernance du sport français. Elle est à revoir.

A.L.
C'est-à-dire ?


D.M.
Ce que l'on nomme le "modèle" sportif français date du début des années soixante. Il a été instauré pour piloter le sport amateur et donne tout le pouvoir à l'Etat. Le Mouvement sportif n'a qu'un rôle d'exécutant dans le cadre d'un dispositif complexe de délégation de mission de service public sous tutelle du Ministère des sports. Si le CNOSF possède pour sa part une certaine autonomie, elle est toutefois limitée par des choix ministériels pour ce qui concerne notre financement. Dans les faits, il n'y a pas beaucoup de marge de manœuvre car nos actions doivent s'inscrire dans le cadre de la politique affichée par le Ministère des sports. Or, pour fonctionner de manière optimale ce modèle suppose deux conditions : une vision politique précise et affirmée en tant que telle et une économie nationale en développement. Si c'était le cas dans les années soixante, ces deux conditions ne sont plus remplies aujourd'hui. La crise, notamment, a fait prendre conscience aux fédérations que nous avions atteint des limites en termes de financements publics.


De plus, l'environnement des fédérations s'est également beaucoup transformé en cinquante ans. Une nouvelle économie sportive et de nouveaux modes de financement, notamment par les collectivités, se sont conjugués avec la transformation de la demande sociale. En matière de pratiques sportives, celle-ci n'est plus du tout celle des années soixante. Par contre, la vision de l'Etat n'a que très peu changé.


Ajoutons que le dispositif administratif et politique sur lequel repose le sport tricolore est unique en Europe. Déjà en 2003, l'enquête VocaSport de l'Union Européenne faisait état de cette singularité qui montre bien que d'autres modèles sont viables.


Le CNOSF préconise donc des réformes pour adapter notre organisation et notre gouvernance du sport à la nouvelle donne du XXIe siècle.


L'un des fondements de ces réformes doit, selon nous, reposer sur une autonomie retrouvée du mouvement sportif.

 

A.L.
Cela suppose une vision du sport de demain...


D.M.
Oui bien sûr, une vision avec des objectifs et un projet qui leur soit associé.


Pour nous, celui-ci doit reposer sur une idée force : le sport doit être considéré comme un investissement et non comme une charge.


Pour le CNOSF, un investissement signifie que le financement du sport doit relever de trois domaines stratégiques affirmés politiquement en tant que tels.

 

Sa contribution sociétale.

Sa contribution économique.

Sa contribution à l'image de la France.


Dès lors que l'on aura défini précisément ces trois dimensions, nous saurons exactement pourquoi il est indispensable de les financer.


Partant de ces trois domaines stratégiques, nous proposons différents secteurs d'activités pris en charge directement par le Mouvement sportif et ses partenaires.

 

En bref, on peut citer.

 

1. Pour la contribution sociétale.

  • Des activités physiques et sportives pour tous.
  • Des activités physiques et sportives partout.
  • Des activités physiques pour tous les âges de la vie.
  • Le renforcement du lien sport/santé.
  • La reconnaissance de l'utilité sociale du Mouvement sportif.
     

2. Pour la contribution économique

  • La reconnaissance de la plus-value économique de notre action.
  • La reconnaissance de l'intérêt économique et commercial du sport.
  • L'identification de son potentiel d'emplois.
  • L'adaptation des formations à ce potentiel.
  • La création d'une filière industrielle et scientifique dédiée.

 

3. Pour la contribution à l'image de la France

  • Une "filière de performances" commune à toutes les disciplines.
  • La définition du statut de tous les acteurs de cette filière.
  • La définition des modes de financement de cette filière.
  • La valorisation autre que simplement politicienne de nos résultats.

 

A.L.
Ce que tu présentes là est un vrai programme politique. Est-ce bien ton rôle ?


D.M.
Je le pense car le Code du sport confère au CNOSF un rôle de représentation du Mouvement sportif.


Nous devons donc avoir un rôle moteur.


D'autant qu'aucun des ministres qui se sont succédés depuis des années n'a œuvré pour faire évoluer ce modèle dépassé d'organisation et de gouvernance du sport français.


A qui la faute ? Aux ministres ou à une administration de l'Etat très prégnante et qui a forcément le souci de ses acquis ? Ce que je peux comprendre...


Reste qu'il y a maintenant urgence !


En effet, posons-nous simplement la question de savoir ce qui se serait passé à Londres si le Judo et la Natation étaient restés à leurs niveaux de performances d'Athènes et de Sydney ? Au lieu de 34 médailles dont 11 en or, nous n'en aurions eu que 22 dont seulement 5 en or. Quelles conclusions en aurait-on tirées ? C'est simple : le sport français serait aujourd'hui en crise [Rappel : cette ITW fut réalisée fin 2013, NDLR].


Enfin, pour finir la comparaison avec la Grande-Bretagne, je ne peux pas ne pas évoquer nos quatre campagnes de candidatures olympiques, toutes soldées par des échecs même si Paris 2012 le fût de peu...


Il y a donc nécessité d'une évolution. Pas à une révolution, certes, mais nous devons à tout le moins imaginer un nouveau modèle de gouvernance dans lequel le pouvoir de décision n'appartiendra pas à un seul acteur, fut-il historique.


C'est parce que nous considérons que ce sont les intérêts supérieurs du sport français qui sont en jeu que nous avons souhaité écrire ce Projet du CNOSF.


Nous avons fait le choix de promouvoir nos idées en affirmant nos ambitions. 



SWI - 2024 -